Définir une monnaie locale ...
Un peu partout fleurissent des monnaies locales: le valeureux, l’épi lorain, le talent, le volti… Quel est leur but? N’y a-t-il pas d’autres alternatives plus faciles et sans risque à mettre en place pour atteindre les mêmes objectifs? Dans cet article, Marie-Berthe nous montre notamment comment une monnaie libre pourrait redynamiser les échanges locaux sans attendre.
La région s’appauvrit
Après le départ des grandes entreprises, notre région s’est appauvrie. Le pouvoir d’achat s’est effondré. Exception faite du loyer, la monnaie est dépensée pour les charges: électricité, eau, téléphone, internet… Elle quitte donc la région pour remplir les comptes d’entreprises privées. La partie de monnaie que les ménages peuvent librement dépenser doit satisfaire leurs besoins de se nourrir, de s’habiller, de se loger, de circuler….
« Fuite des capitaux »
La plupart dépense ce reste de monnaie dans les temples de la consommation que sont les centres ou zoning commerciaux. Ces derniers poussent comme des champignons à l’entrée de toutes nos petites vielles provinciales. Ce sont partout les mêmes marques. Fini les enseignes familiales, régionales. La monnaie qui s’accumule sur les comptes de ces magasins quitte aussi en grande partie la région. En effet, elle s’écoule notamment vers les pays qui produisent à bas prix, les quelques multinationales qui monopolisent le marché de l’alimentation. Elle rémunère les actionnaires et les grands patrons… Les bénéfices remplissent des comptes dans les paradis fiscaux! Bref, dans la région ne reste que les salaires de quelques vendeurs et employés locaux. Ces derniers, à leur tour, en dépenseront une grande partie dans les mêmes magasins.
« Il n’y a pas de travail »?
De nombreux enseignes et commerces locaux ont mis la clé sous le paillasson. Pendant ce temps, le nombre de chômeurs et d’allocataires sociaux n’a cessé d’augmenter et les politiques nous répètent qu’« Il n’y a pas de travail », qu’il faut diminuer les charges des entreprises et déréguler le travail, renoncer à nos droits sociaux pour attirer des investisseurs qui réinjecteront de la monnaie dans la région.
C’est faux ! Il y a du travail!
Nous avons tous des compétences. Et nous sommes tous capables de produire des biens et des services que nous pourrions échanger! Mais pour les proposer nous devons entrer dans un système tellement complexe que nous avons bien souvent plus à perdre qu’à gagner. De surcroît, même si nous tentons d’être créatifs, nous ne sommes pas certains qu’il y aura des personnes suffisamment fournies en monnaie pour qu’elles puissent être demandeuses de nos offres.
Combien sommes-nous à rester bloqués dans cette situation frustrante? A tourner en rond à la recherche d’une solution? Impuissants, nous renonçons à développer nos savoirs et nos savoir-faire, nous attendons qu’ON nous donne un travail ! Mais les ON qui ont de la monnaie à investir ne le font pas dans notre région et pas souvent dans ce qui a de la valeur pour nous. Bref, vous l’avez compris: le noeud du problème, c’est qu’il ne circule pas assez de monnaie chez nous pour que chacun de nous puisse s’offrir les biens et les services qui attendent preneurs.
« On sent que plane l’idée que seul un travail rémunéré serait un vrai travail, voire que le travail serait réduit au seul emploi. Cet imaginaire dominant exclut du monde du travail – et symboliquement du monde tout court – une large part de la population, si ce n’est sa grande majorité ». Olivier Auber dans « L’illusion tragique de la fin du travail » – paru dans Le Monde
Les circuits courts
Conscients de cette réalité, de nombreux citoyens s’engagent dans le développement d’alternatives. Des producteurs s’organisent en circuits courts. Pour éviter la fuite de la monnaie hors de la région, ils créent une monnaie locale, une sorte de bons d’achat qu’on peut obtenir en échange d’euros et qu’on ne peut dépenser que dans les commerces locaux qui l’acceptent. Évidemment, seuls ceux qui ont des euros peuvent obtenir de la monnaie locale. Et quand ils ont échangé par exemple 100€ en monnaie locale, ils ont 100 € de moins dans leur portefeuille. Qu’est-ce que cela change dès lors? Il n’y a pas plus de monnaie en circulation. Il fait toujours aussi sec ! Cela ne change donc rien à la « sécheresse monétaire » que nous connaissons depuis des années dans la région.
Une pluie rafraîchissante
De quoi avons-nous donc besoin pour échanger entre nous et pour relancer l’économie locale et les circuits courts ? D’une bonne pluie rafraîchissante de monnaie ! D’une injection de liquidité ! Peu importe laquelle tant que ces liquidités sont reconnues par la communauté des personnes qui l’utilisent!
Parabole du billet magique
Un touriste arrive dans un hôtel et met 100€ sur le comptoir. Il demande pour visiter les chambres. Dès qu’il a le dos tourné, l’aubergiste prend le billet de 100€. Avec cette somme, il achète de la viande au boucher. Par ailleurs, ce dernier reçoit justement des amis. Il en profite pour se faire livrer des pizzas pour tout le monde. Grâce à cette commande, le livreur de pizza peut enfin payer un acompte à l’aubergiste pour la réservation d’une chambre. Ses parents italiens vont être contents! Ils étaient tellement impatients de venir le visiter. Bref, les 100€ sont donc revenus sur le comptoir. Le touriste revient. Comme les chambres ne lui plaisent pas, il reprend le billet et il s’en va.
Du liquide qui circule localement
Pour relancer l’économie locale, il faut redynamiser les échanges locaux. Pour échanger entre nous dans la confiance, nous avons d’abord besoin de pouvoir mesurer la valeur de nos échanges. En effet, pour laisser partir un de mes biens ou pour rendre un service, j’ai parfois besoin de savoir ce que je peux espérer recevoir en échange. J’ai besoin d’être certaine qu’avec la preuve que j’ai offert quelque chose d’une telle valeur (la monnaie est cette preuve), je pourrai m’offrir d’autres choses pour une valeur équivalente.
Monnaie mesure
La monnaie devrait rester avant tout un instrument de mesure et non un bien qu’on accumule. Pour jouer ce rôle d’instrument de mesure, il faut que la monnaie continue de circuler dans la communauté. Pour cela, il ne faut pas qu’elle soit thésaurisée comme un bien, ni qu’elle s’écoule systématiquement vers des régions lointaines sans revenir vers nous.
En somme, pour redynamiser nos échanges locaux et donc notre économie locale, nous avons besoin d’une monnaie « mesure » qui ne peut être dépensée que dans un cercle d’utilisateurs relativement restreint. Le pouvoir d’achat qu’elle va générer sera donc utilisé localement.
Une zone économique
En agissant de la sorte nous créons une nouvelle zone économique, au sein de la région. Cette zone est définie par la monnaie choisie par la communauté locale pour mesurer les échanges en son sein. On pourrait parler de zone « de valeur-Lodévoise », zone « valeur-34 »…. comme on parle de la zone euro. Plus dans cette zone nous serons nombreux à utiliser et à proposer des biens et des services dans une nouvelle monnaie choisie, plus grande sera la variété d’offres et de demandes et plus grande sera la garantie que la monnaie reçue pourra être échangée contre des biens et des services.
Comment définir les frontières de ce « local »?
Quelles seront les limites de cette zone économique ? Doivent-elles absolument être géographiques? Non! Le but n’est pas un repli sur soi, sur sa commune. Le but de la création d’une nouvelle zone économique, c’est de faire vivre des familles d’artisans, de producteurs, des prestataires de services. Pour cela, il faut que des habitants aient non seulement le pouvoir de consommer leurs produits et leurs services mais aussi qu’ils arrêtent d’enrichir des actionnaires en achetant les grandes marques industrielles.
Si on définit une zone géographique pour une monnaie locale, une minorité d’habitants sont au centre de cette zone, les autres en périphérie. Si on choisit une monnaie alternative sans frontière, chacun est le centre de sa zone économique puisqu’il peut choisir d’acheter ses produits et services dans un rayon autour de chez lui. De surcroît, s’il part en vacances dans une région où la même monnaie circule, il peut, avec cette monnaie, continuer à faire vivre les producteurs, paysans et artisans locaux.
Si une monnaie de ce type existe et est déjà utilisée par d’autres communautés locales, pourquoi dès lors ne pas donc choisir la même ?
Une monnaie libre
Donc, plus qu’un critère géographique, ce qu’il importe de regarder, ce sont les fondements d’une monnaie, son mode de création. Nous cherchons pour redynamiser notre région une monnaie qui permette à chacun de retrouver sa liberté de choisir une monnaie qui lui permette d’avoir accès aux ressources, de produire, de donner de la valeur et d’échanger dans une monnaie! Liberté que nous perdons avec le manque d’euros.
Stéphane Laborde ingénieur et mathématicien Français a démontré comment créer une monnaie qu’il appelle libre parce qu’elle permet à ses utilisateurs de retrouver cette liberté. Il faut s’accrocher pour comprendre sa théorie, non parce qu’elle est vraiment difficile, mais surtout parce que pour la comprendre, il faut commencer par oublier tout ce qu’on connaît sur la monnaie. C’est un vrai changement de paradigme.
A partir de sa théorie, une première monnaie a vu le jour le 8 mars 2017, la ( se prononce J’Une ou j'ai Une). Des groupes se créent dans la région de Toulouse-Monpellier, en Normandie, en région parisienne, en Bretagne etc...
Comment cela fonctionne-t-il ?
La monnaie libre est une monnaie scripturale. Ce sont donc des nombres écrits sur des comptes grâce à des programmes informatiques qui constituent la monnaie. Tout comme l’euro dans la mesure où, on l’oublie souvent, plus de 90% des euros sont aussi de la monnaie scripturale puisqu’à peine 10% peuvent être transformés en billets et en pièces. Et on nous prédit la fin du cash pour bientôt!
Contrairement à l’euro, la monnaie libre est décentralisée. Il n’y a plus de banquier, mais un logiciel informatique conçu de telle sorte qu’aucun humain ni aucun robot ne puisse pas en changer les règles. Ce logiciel est libre, c’est-à-dire que tout le monde peut avoir accès au code. Les règles de création monétaire sont transparentes. Elles ne peuvent pas être changée par une seule personne, mais seulement de manière démocratique, si une majorité le souhaite.
Création monétaire non par des crédits mais par un dividende universel
Un logiciel crée pour chaque membre un revenu de base quotidien appelé DU (dividende universel). Cette somme ainsi créée est la même pour tous les membres dans l’espace et dans le temps. En revanche, pour devenir membre, il faut accepter la Licence Ğ1 et se faire certifier par 5 autres membres de telle sorte qu’ensemble, tous les membres tissent une toile de confiance. Le démarrage prend donc un peu de temps. Mais très vite, cette toile de confiance va se développer de manière exponentielle. C’est ainsi qu’il y avait 58 membres pour lancer la Ğ1 le 8 mars 2017 et en janvier 2018, nous sommes 600. Il faut donc un peu de patience et SURTOUT apprendre à se connaître et créer des liens entre nous. C’est le principe d’une toile de CONFIANCE.
Toutefois, avant d’être membre, il est possible d’ouvrir un compte-portefeuille. Dans ce cas, pour avoir de la monnaie sur ce compte-portefeuille il suffit de vendre un service ou un bien a une personne qui a de la monnaie sur son compte. Ou bien de demander qu'on vous en donne; Cette monnaie est aussi faite pour ça car elle est libre !
article rédigé par Marie Berthe Ranwet et paru dans http://www.refl-actions.org en juin 2017. Légèrement modifié pour mlodeve. licence: CC BY-SA 4.0
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