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[histoire] Les villages d'antan pas si écolo ...

Le texte intégral d'une chronique de Michael Palatan qui bat en brèche des idées reçues et qui tape sur les doigts des intellectuels qui confondent leur désarroi avec celui de celles et ceux qu'ils étudient...


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La France n’a pas atteint en 2018 les objectifs qu’elle s’était imposée dans le cadre des Accord de Paris. En matière de réchauffement climatique, le niveau local villageois n’a que peu de cartes en main pour aider l’Etat à tenir ses engagements, les solutions se concentrant plutôt aux niveaux international et régional. Les problématiques se concentrant plutôt aux USA, en Chine et en Inde, rendant nos émanations de gaz à effet de serre dérisoires. Les leviers d’action sont globaux. Tout au plus doit-on au village favoriser localement l’autonomie énergétique des bâtiments, les circuits courts, l’éducation à la responsabilité en évitant les pièges de l’écologisme.

 

Par contre, concernant la pollution dont les effets sournois, différés, invisibles, peuvent être dramatiques, le village ou la commune ont un vrai rôle à jouer d’autant que cette problématique n’est pas nouvelle, l’agriculture non raisonnée étant un vecteur de polluants (pesticides...). Tournons-nous vers hier pour examiner cette question. Quelques idées reçues n’en sortiront pas indemnes.On a vite fait d’imaginer que nos paysans d’antan dépourvus de fertilisants artificiels avant la révolution de la chimie (Liebig, 1840) cultivaient leurs terres dans un paysage bucolique balayé par des vents frais et purs, irrigué d’une eau limpide et chatoyante. S’il est vrai que les seuls engrais alors utilisés étaient d’origine animale et principalement fournis par les troupeaux d’ovins (dont c’était là la fonction première comme l’a montré Elie Pélaquier dans son maître ouvrage sur Saint-Victor de la Coste, De la maison du père à la maison commune (1661-1799)), cette pratique n’était pas sans effets secondaires sur l’environnement. On parquait les troupeaux de moutons la nuit sur les terres promises à un ensemencement. Le migou, la pétoule du mouton, c’était une promesse de rendements augmentés.

 

D’autres animaux contribuaient à la fertilisation des sols. Les fonds d’étable faisaient souvent l’objet d’un soin particulier. Les sols des poulaillers étaient alors considérés comme le meilleur des fertilisants. Il était réservé aux jardins - zones de production intensive participant dans une large mesure à l’alimentation des villageois. Ces petites parcelles sont à cette époque si précieuses qu’elles sont situées au plus près des villages, elles sont de surcroît cernées de hauts murets de pierres sèches.
Même si le végétal y pourvoyait aussi (le buis par exemple que l’on enterrait après les labours en état de décomposition avancé), les besoins en engrais imposaient donc une forte présence animale. Plus ou moins 1000 moutons, des dizaines de mules pour le labour et le charroi, des ânes, quelques chevaux pour véhiculer les notables, tout cela par village... Des poulaillers, des clapiers, des pigeonniers...

 

Chaque maison avait ses chats pour chasser la vermine et monter la garde au plus près des greniers. Puis il y avait les chiens... Ajoutons à ces animaux, une population de 400 à 500 personnes dépourvus de sanitaires et ne se soulageant qu’à l’occasion, au creux de fosses d’aisance, de trous perdus: les cagadous... On imagine combien les nappes phréatiques pouvaient être polluées par les infiltrations chargées des sous-produits de ces immondices emportées par les pluies. Ajoutons encore que de nombreux moulins à foulon, des tanneries, des forges contribuaient à la pollution des rivières. Le tableau idyllique d’une paysannerie d’antan écolo avant l’heure est un contresens.

 

D’autres pratiques problématiques sont connues. Un étudiant suisse en médecine à la faculté de Montpellier à la fin du XVIe siècle avait attribué les goitres qui défiguraient nombre des jeunes filles de la région à la mauvaise qualité de l’eau. Il faut dire que les puits accueillaient à cette époque un catadrome : l’anguille. Les puits étaient de véritables viviers où l’on gardait ces serpentiformes pour les consommer. S’il est probable que cette habitude ait été prise pendant les Guerres de Religion à l’occasion des sièges, il faudrait aussi la rapprocher d’un autre usage qui consistait à jeter ces anguilles dans les puits pour qu’elles avivent les veines d’eau en les débarrassant des racines qui ne manquaient pas de les obstruer. Quelle que soit l’explication, cet usage était pathogène. Quant aux goîtres des demoiselles, une sous-alimentation récurrente était en cause dans le contexte des guerres du XVIe siècle.

 

Au village, hier comme aujourd’hui, la gestion de l’eau demeure une problématique locale qui se décline entre autres en terme d’autonomie ou de délégation de la gestion de la distribution et du traitement des eaux, de gestion des risques inondations en lien avec l’artificialisation des sols agricoles. La France urbanise chaque année deux fois plus de sols que ne le font nos voisins allemands. Tous les 7 ans c’est l’équivalent d’un département qui sort de terre. Le potentiel agricole des communes gagnées par l’urbanisation décline et amoindrit la capacité de résilience de la société locale. Habitué aux famines, à la guerre et aux calamités biologiques, il est du devoir de l’historien de dire que l’histoire est imprévisible. Reste donc à envisager ensemble la mise en place de dispositifs d’amortissement des chocs que pourrait provoquer un « effondrement » du système-monde. Dans un livre récent « homo domesticus », l’anthropologue James Scott a montré de manière très éclairante que ce que les historiens et les collapsologues appellent des « effondrements » n’a pas été systématiquement désastreux pour les populations. Bien au contraire, souvent il s’est agi de la disparition d’un système de domination centralisé avec lequel disparurent archives et infrastructures. Les sources disparaissant, archéologues et historiens se trouvent alors aveugles. Ainsi, si l’on appelle les « âges sombres » la période qui précède l’irruption de la formidable et si précieuse Grèce antique, c’est parce qu’on ne sait rien d’elle. Alors même quand le pire nous est promis, restons optimistes.

 

Michael Palatan



03/02/2019
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