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Réveiller les paysans qui sommeillent en nous

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Hors-ligne
22/01/2019


(photo : En Indre-et-Loire, la Coopérative paysanne de Belêtre)

L’étincelle qui a allumé la mèche des Gilets jaunes était économique : la hausse incessante du prix de l’essence, un sentiment largement partagé d’asphyxie financière. La question des bas revenus et de l’inégalité économique reste présente depuis, mais la révolte a pris un tour plus politique : critique de la classe dirigeante, dénonciation de son mépris pour des classes populaires qui n’ont aucun moyen de peser sur les grandes décisions, critique diffuse de la démocratie représentative, revendications d’outils de participation et de délibération plus ou moins radicaux... Mais si la nécessité de réorganiser les habitudes et les institutions politiques est largement évoquée dans le mouvement, la nécessité d’une autre organisation économique est très peu débattue : ne devons-nous pas tout autant réorganiser nos manières de survivre, de produire et d’échanger ?

Tout le monde ressent la violence des contraintes économiques, mais on se tourne majoritairement vers l’État pour s’en plaindre, pas vers les entreprises. Et on parle peu des possibilités d’être plus solidaires entre nous à l’échelle locale, de reprendre l’habitude de produire une partie importante de notre subsistance dans la région où l’on vit, à une échelle où les rapports économiques pourraient être régulés par des impératifs éthiques, moraux, politiques.On dit beaucoup que le mouvement actuel est issu d’une France périphérique, en partie rurale.

Les habitants de ces régions mettent souvent en avant le sentiment d’être abandonnés par l’État, de vivre en marge de la production et de la circulation des richesses du monde actuel. Mais ne sommes-nous pas capables de produire là où nous habitons, ensemble, toute une partie des richesses dont nous avons réellement besoin pour vivre dignement ? Rien ne nous y incite, rien dans l’organisation sociale en place n’est fait pour cela, au contraire on envoie du bois d’ici en Chine pour le réimporter sous forme de meubles (idem pour les tomates, etc.). Pourtant, les arrière-pays de la France industrielle sont riches, au moins potentiellement, de nombreuses ressources. Ce qui nous manque, c’est une organisation du quotidien qui permette de faire usage ici des légumes, de la viande, des céréales, de l’huile, du bois, des matériaux de construction et d’isolation que nous avons autour de nous.

Nos arrière-pays sont également riches de traditions d’entraide, de pratiques campagnardes et villageoises coopératives qui se sont petit à petit éteintes depuis… pff, depuis quand au fait ? Peut-être il n’y a pas si longtemps. Et ce qui est sûr, c’est que nous allons avoir besoin de les ranimer/les réinventer, ces traditions, pour faire face à l’inéluctable ralentissement de l’économie industrielle, aux perturbations climatiques et aux troubles politiques probables. Tous ces bouleversements vont faire que la question économique ne se posera plus seulement en termes financiers/monétaires, mais en termes de subsistance : serons-nous capables de répondre à nos besoins de base à un niveau local, sans que ce soit le chaos, la guerre de tous contre tous ?

Notre insurrection doit faire un choix très fort.Ou bien elle défend (qu’on le veuille ou non) le monde tel qu’il existe en réclamant le maintien du niveau de vie occidental de l’an 2000 : un monde où les logiques de puissance, de rentabilité, de privatisations dominent, à travers la consommation (très) excessive d’énergie, les destructions infligées à notre milieu par l’agriculture industrielle, l’expansion sans fin des villes et des zones commerciales et « artisanales » (sic), l’informatisation du travail et de la vie quotidienne qui nous met sous pression 24h sur 24 et nous isole les uns des autres.
Ou bien nous cherchons la sortie de ce monde promis à la destruction, en inventant d’autres manières de produire et de vivre, qui auront plus à voir avec ce que nos arrière-grands parents et ancêtres lointains faisaient, et qui implique un très haut niveau d’entraide, une certaine frugalité mais aussi plus de maîtrise sur nos gestes quotidiens, sur le système qui nous nourrit, nous chauffe, nous transporte. C’est dans ce monde, plus difficile par certains côtés, plus simple par d’autres, qu’une véritable démocratie pourra s’épanouir.L’auto-organisation politique suppose l’auto-organisation économique et vice versa. On ne peut pas poser la question du pouvoir au peuple sans soustraire notre subsistance aux grandes organisations publiques et privées.

TERRE et LIBERTE !

Des Gilets tarnais, mi-janvier 2019

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